La BCE s’attaque à Bitcoin sur fond de désinformation et de dérives autoritaires

Poursuivre les développeurs de Bitcoin et les rendre responsables des transactions illégales réalisées sur le réseau. C’est une des idées soutenues dans la dernière publication de la Banque Centrale Européenne. Dans un billet de blog, Ulrich Bindseil et Jürgen Schaaf (respectivement directeur de l’infrastructure de marché et des paiements, et conseiller auprès de la banque centrale) remettent en question l’utilité de Bitcoin en tant que monnaie numérique décentralisée (« Bitcoin a échoué »)et son potentiel en tant qu’investissement.

Outre la faiblesse de l’argumentation de cet article, on se demande si la BCE est bien dans son rôle en publiant ce papier. Pire, certains propos s’assimilent à de la désinformation et à des dérives autoritaires dangereuses pour nos démocraties.

Mandat de la BCE et pertinence des critiques

Tout d’abord, il convient de s’interroger sur la pertinence de cet article au regard du mandat principal de la BCE, qui est de maintenir la stabilité des prix. Le fait de consacrer du temps et des ressources à critiquer une crypto-monnaie spécifique semble sortir du cadre de ce mandat, surtout lorsque la stabilité des prix au sein de la zone euro reste elle-même un défi qu’a du mal relever la BCE.

Il est tout de même préoccupant de voir une institution financée par des fonds publics se focaliser sur la dévaluation d’un actif en particulier, surtout dans un contexte où la neutralité devrait prévaloir.

Manque de sources fiables

L’article de la BCE souffre d’un manque flagrant de sources crédibles.

En effet, beaucoup des affirmations de l’article ne sont pas étayées par des données empiriques ou des études académiques, mais se réfèrent à des articles d’opinion. Cette approche soulève des doutes sur la rigueur de l’analyse et la fiabilité des conclusions présentées.

Mais surtout, le choix sélectif des données, notamment en ce qui concerne les activités illicites liées à Bitcoin, est orienté pour soutenir un narratif négatif prédéfini, ignorant les tendances qui pourraient contredire leurs arguments. 

Alexandre Stachtchenko dans une longue publication sur X (anciennement twitter) insiste sur l’immense mauvaise foi (« Il n’y a rien qui va dans ce torchon ! ») dont font preuve les auteurs en évoquant l’utilisation de Bitcoin pour le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent en piochant les seules données qui les intéressent dans un article en partie intitulé “L’activité illicite diminue” (Chainalisys : 2024 Crypto Crime Trends: Illicit Activity Down as Scamming and Stolen Funds Fall, But Ransomware and Darknet Markets See Growth).  

C’est au point que les community notes (fonctionnalité prévue pour lutter contre la désinformation – rappelons-le) viennent carrément ajouter du contexte sur le tweet même de la BCE !

Démystification des critiques sur Bitcoin

De nombreuses voix se sont élevées pour démonter un à un les arguments soulevés par Bindseil et Schaaf dans leur article.

Transactions Bitcoin 

Contrairement à ce qui est avancé, les transactions Bitcoin ne sont pas nécessairement lentes ou coûteuses, surtout lorsqu’on les compare aux délais et frais associés aux transferts bancaires internationaux.

De plus, le développement de technologies comme le Lightning Network améliore considérablement la vitesse et la réduction des coûts des transactions Bitcoin.

Usage dans les paiements 

L’affirmation selon laquelle Bitcoin est principalement utilisé pour des activités criminelles est très contestable. Des rapports officiels, y compris ceux émanant de services de renseignement et d’agences gouvernementales, reconnaissent que l’usage de Bitcoin pour le blanchiment d’argent reste marginal par rapport aux monnaies fiduciaires.

Investissement 

L’article de la BCE ignore la performance remarquable de Bitcoin en tant qu’actif d’investissement sur la dernière décennie (et actif le plus performant de l’année 2023).

Bien que volatile, Bitcoin a démontré une capacité significative de création de valeur sur le long terme.

Impact Environnemental 

La critique sur l’impact environnemental de Bitcoin mérite également d’être nuancée.

Des études récentes suggèrent que l’industrie du minage de Bitcoin pourrait jouer un rôle dans la promotion des énergies renouvelables et dans la réduction des émissions de méthane, remettant en question la narrative d’un impact uniquement négatif.

Interdire Bitcoin, attaquer sa gouvernance

Mais pourquoi Bitcoin n’est pas encore interdit ou au moins soumis à des réglementations plus strictes, se demandent les auteurs.

  • Premièrement cette approche semble ignorer la nature décentralisée et collaborative de Bitcoin, où aucune entité ou individu n’a un contrôle total.
  • Deuxièmement, l’idée de poursuivre en justice des développeurs ou d’autres acteurs pour leur rôle dans la gestion de Bitcoin soulève quand même quelques questions éthiques importantes (pratiques liberticides, excès autoritaires).

Un débat équilibré nécessaire pour l’avenir du système financier mondial

Il est dommage, usant, de lire années après années toujours les mêmes arguments à charge contre Bitcoin (blanchiment, financement du terrorisme, climat, forte volatilité…) sans que ne soient pris en compte les réponses maintes fois opposées, ni qu’un débat nuancé et équilibré ne soit possible. 

Clou (clown) du spectacle, la BCE annonce le même jour que la publication de cet article être en déficit de 1,3 milliard d’euros. Certains en viennent à se demander si la Banque Centrale Européenne a peur de Bitcoin.

Le secteur financier est en pleine mutation et de manière générale le monde entier est en train d’évoluer plus rapidement que jamais. Il faut encourager la compréhension des nouvelles technologies, tenir compte des défis qu’elles posent mais aussi saisir les opportunités qu’elles offrent pour l’avenir du système financier mondial.