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[Algorithmes] Episode 4 : Comment résister à l’influence des algorithmes.

Au cours des précédents articles de cette série, nous avons vu comment les algorithmes influencent nos comportements à une échelle individuelle et collective. Nous avons mesuré les menaces et les défis que cette influence pose, aussi bien pour notre humanité que pour nos sociétés et démocraties. Comment lutter contre la domination des algorithmes ? Quelles stratégies de résistance aux algorithmes peut-on mettre en place, individuellement et collectivement, pour contrer leur influence sur nos vies et sur nos sociétés ? C’est ce que nous allons voir dans cet article.

Pourquoi résister à l’influence des algorithmes

De l’addiction aux écrans à la polarisation des opinions, en passant par la préservation de nos données personnelles, les enjeux touchent le cœur de nos sociétés modernes. 

 Vie privée et liberté individuelle

Les Big Tech ont privatisé les espaces publics numériques. En parallèle, nous avons rendu publiques nos vies privées, offrant sur un plateau nos données personnelles. Avec 230 likes, Meta vous connaît mieux que votre conjoint.

En collectant et analysant constamment nos données et nos comportements en ligne, les algorithmes posent un risque sérieux pour notre vie privée. Ils dressent des profils détaillés de nos comportements, préférences et habitudes, souvent à notre insu. 

L’objectif en surface : permettre un ciblage publicitaire précis.

Mais la concentration de ces données entre les mains de quelques entreprises ou gouvernements soulève des questions sur les potentiels abus de pouvoir.

Car en profondeur, on peut s’inquiéter d’un autre objectif inavoué : celui de manipuler nos opinions pour orienter un avenir sociétal qui va dans l’intérêt de quelques entreprises privées.

Manipulation

Les algorithmes de recommandation utilisés par les réseaux sociaux et les plateformes de contenu créent des bulles de filtres. Les flux d’information auxquels sont exposés les utilisateurs renforcent leurs opinions préexistantes et limitent leur exposition à des points de vue diversifiés

Cette manipulation subtile de notre perception du monde a des conséquences importantes sur le débat démocratique et la cohésion sociale.

Elle a tendance à polariser les débats, limiter l’esprit critique, et exacerber les haines.

Une étude de Facebook a montré les possibilités d’influence des utilisateurs grâce à la « contagion émotionnelle de masse« . Les conclusions de l’étude sont inquiétantes : Facebook a trouvé des moyens d’influencer les utilisateurs en modifiant leur flux d’information.

« Lorsque des expressions positives ont été réduites, les gens produisent moins de messages positifs et plus de messages négatifs ; lorsque les expressions négatives ont été réduites, c’est le modèle inverse qui s’opère.« 

« Ces résultats indiquent que les émotions exprimées par d’autres sur Facebook influencent nos propres émotions, constituant la preuve expérimentale d’une contagion à échelle massive via les réseaux sociaux.« 

FACEBOOK
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Peu après cette étude, on a vu de nouveaux émojis apparaître sur Facebook permettant de préciser nos émotions dans nos interactions avec les publications.

Ces méthodes d’influence par les technologies numériques portent un nom : la captologie.

Biais algorithmiques

Par ailleurs, les algorithmes ne sont pas neutres. Ils reflètent les biais de leurs créateurs et des données sur lesquelles ils sont entraînés.

Cela peut conduire à des discriminations dans des domaines importants comme l’emploi, le crédit bancaire ou la justice pénale. La liste est non exhaustive. 

Cela peut également conduire à standardiser les informations ou à relayer de fausses informations.

Dépendance technologique

Le smartphone dopé aux algorithmes dans une économie de l’attention numérique créé un terrain propice à la dépendance. Les propositions fleurissent pour limiter les effets des écrans. Emmanuel Macron s’est prononcé en faveur d’une interdiction du téléphone portable aux mineurs de moins de 11 ans et d’une majorité numérique (accès aux réseaux sociaux) à 15 ans.

Alors on peut se poser la question suivante : est-ce le rôle d’une démocratie d’interdire à l’utilisateur avant de chercher à réguler les fournisseurs de services ? 

A New-York, c’est une autre approche qui est adoptée pour protéger les jeunes, . Celle de supprimer l’affichage algorithmique par défaut sur les réseaux sociaux des jeunes de moins de 18 ans. Leur flux d’information est alors affiché par ordre chronologique. Les plateformes comme Facebook, Snapchat et TikTok doivent obtenir l’accord des parents pour afficher un flux d’informations jugé « addictif ». Une mesure saine qui permet de limiter l’impact des algorithmes mais aussi de sensibiliser les enfants et de responsabiliser les parents.

Délégation des prises de décision

Nous nous reposons de plus en plus sur les algorithmes pour prendre nos décisions. Un peu de la même façon que nous déléguons le choix de l’itinéraire au GPS.

Voici un petit florilège des décisions que nous laissons les algorithmes orienter :

  • Films à regarder, musiques à écouter.
  • Actualités à lire, vidéos à visionner.
  • Produits à acheter.
  • Partenaires à rencontrer.
  • Investissement financier.
  • Recrutement des candidats.
  • Consultation des offres d’emploi.
  • Suggestion de réponse dans les emails.
  • Température du chauffage

Cette délégation croissante de notre capacité de jugement à des machines pose la question de l’atrophie de nos compétences cognitives et de notre autonomie. De plus, cette dépendance nous rend vulnérables aux dysfonctionnements techniques ou aux manipulations malveillantes de ces systèmes.

Pour toutes ces raisons, il est important de mettre en place des moyens pour résister à l’impact des algorithmes sur nos vies.

Stratégies de résistance individuelles 

Éducation et sensibilisation

La première étape pour résister à l’influence des algorithmes est de se former et de s’informer. Comprendre comment les algorithmes fonctionnent, les logiques sous-jacentes qui guident leurs décisions, et les impacts qu’ils peuvent avoir sur nos choix personnels. 

Voici une liste d’ouvrages passionnants sur le sujet pour vous sensibiliser à l’influence des algorithmes :

  • Les algorithmes font-ils la loi ? (Aurélie Jean)
  • La dictature des algorithmes (Lê Nguyên Hoang et Jean-Lou Fourquet)
  • Toxic Data (David Chavalarias)
  • Technopolitique (Asma Mhala)
  • L’empire de la surveillance (Ignacio Ramonet)
  • La civilisation du poisson rouge (Bruno Palatino)
  • Mind Fuck (Christopher Wyllie)

Sur Symbole Media, vous trouverez une série d’articles pour vous aider à mieux appréhender les problématiques liées aux algorithmes

Adopter des pratiques de navigation consciente

Ne vous laissez pas porter par les flots des réseaux sociaux. Prenez la barre et fixez le cap pour contrer l’effet des algorithmes

Lorsque vous cliquez sur une vidéo, attendez-vous à ce que l’algorithme vous propose ensuite des contenus similaires. Soyez conscient que les informations qui vous sont présentées le sont pour retenir votre attention et capter votre temps. Ayez toujours ce regard lorsque vous consommez du contenu. 

Diversifiez vos sources d’information et exposez-vous volontairement à des points de vue différents. Cela permet de briser les bulles de filtres et d’avoir une vision plus équilibrée du monde. Très important pour la santé de votre esprit critique !

Vérifier les sources des contenus

La vérification des sources est essentielle. Les algorithmes peuvent facilement amplifier la désinformation et les contenus sensationnels, créant une vision déformée de la réalité.

Lia Gène explique comment lutter contre les fake news en vidéo.

Vérifiez systématiquement l’origine et la crédibilité des informations que vous consommez. Remontez à la source originale d’une information, croisez les données avec des sources fiables et diverses, adoptez un esprit critique face aux contenus viraux.

Cette pratique nous permet non seulement de nous protéger contre la manipulation, mais aussi de contribuer à un écosystème informationnel plus sain en partageant des informations vérifiées.

Lorsqu’une information parait extravagante, vérifiez la vocation de la source, cela pourrait bien être de l’humour.  Même les politiques et journalistes se font parfois avoir en citant Le Gorafi.

Ainsi, la vérification des sources devient un acte de résistance active contre le pouvoir des algorithmes de façonner notre perception du monde. Reprendre le contrôle sur notre consommation d’information et préserver notre autonomie intellectuelle passe par là.

Utiliser des technologies alternatives

S’orienter vers des technologies qui respectent la vie privée et qui offrent une alternative aux modèles basés sur l’exploitation des données personnelles peut également être un moyen de vous préserver de l’influence des algorithmes. 

Utilisez des moteurs de recherche respectueux de la vie privée comme DuckDuckGo ou Qwant. Vous pouvez aussi utiliser des modes de navigation privée qui limitent la collecte de vos données personnelles. 

Signal est une messagerie qui chiffre les communications de bout en bout. Brave est un navigateur qui bloque tous les traceurs présents sur les sites que vous visitez. L’utilisation de réseaux virtuels privés (VPN) permet de masquer votre adresse IP et de naviguer anonymement. Il existe de nombreux outils qui respectent la vie privée.

Adopter une démarche active et critique 

Ces stratégies, bien que simples à mettre en œuvre, exigent une prise de conscience et un engagement actif de la part des individus pour modifier leurs habitudes numériques

Adopter une approche critique et informée de l’utilisation des technologies algorithmiques permet de limiter leur impact sur nos et vies et sur la société.

En pratiquant et en diffusant ces méthodes de résistance individuelle, nous protégeons non seulement notre autonomie, mais aidons les autres à repenser leur interaction avec le monde numérique.

Stratégies de résistance collective

A un niveau plus macro aussi, la résistance s’organise. L’influence des algorithmes est devenu un problème public de santé mental et de santé démocratique. Pour Anne Hidalgo, X (Twitter) est devenu « arme de destruction massive de nos démocraties ».

Eduquer le citoyen numérique de demain

Il y a un véritable enjeu d’éducation et de sensibilisation. Les pouvoirs publics doivent mettre en place des moyens d’éduquer les citoyens aux nouveaux médias. Cela passe par l’école bien sûr, mais aussi via des programmes de sensibilisation continue qui s’adaptent à l’évolution rapide des technologies et des plateformes.

Une population bien informée est mieux armée pour détecter les manipulations, exiger la transparence et faire des choix éclairés.

En cultivant l’esprit critique et la littératie algorithmique, l’éducation permet de créer un contre-pouvoir citoyen et de façonner un avenir numérique plus éthique et équitable.

Réguler les Big Tech

Est-ce une bonne idée de laisser à des entreprises privées, qui ont des intérêts propres, le soin de décider ce qui doit être vu ou de ce qui doit être invisibilisé ? Clairement non. A moins que vous viviez dans la Silicon Valley, je pense que nous sommes tous d’accord sur ce point.

Des efforts réglementaires sont en cours à travers le monde pour assurer que les algorithmes opèrent de manière transparente, équitable et saine : RGPD, DSA, DMA, IA Act, Safe for Kids Act…

Dans le podcast Do it Yourself, Emmanuel Macron intervient sur le sujet des algorithmes et de la responsabilité des grandes plateformes. Il explique que tous les grands réseaux sociaux sont détenus par des acteurs privés non européens. C’est pourquoi l’Europe a beaucoup poussé pour adopter des règlementations afin de responsabiliser les plateformes et de leur imposer une transparence sur les algorithmes : « Qu’est-ce qu’il y a sous le capot ? »

Intervention d’Emmanuel Macron sur les algorithmes à 01:29:55

« Il faut réhumaniser et domestiquer les réseaux sociaux. »

Emmanuel Macron

Ces initiatives de régulation sont essentielles pour instaurer un cadre légal qui non seulement protège les individus contre les abus potentiels, mais encourage également les entreprises à concevoir des algorithmes qui respectent les principes éthiques fondamentaux.

Dégrouper les réseaux sociaux 

Le dégroupage des réseaux sociaux vise à contester l’hégémonie des réseaux sociaux en déconstruisant leurs fonctionnalités en services distincts

Cette approche permettrait aux utilisateurs d’avoir plus de contrôle sur leur expérience en ligne et de choisir les services qu’ils souhaitent utiliser.

Le dégroupage donnerait enfin aux utilisateurs la maîtrise de leur expérience en ligne.

Maria Luisa Stasi
directrice “Law & Policy des marchés numériques” chez Article 19

Le dégroupage favoriserait l’interopérabilité entre différents acteurs, et permettrait aux utilisateurs de choisir des services alternatifs tout en restant connectés à leur réseau social principal.

Pour chaque grande plateforme, il serait alors demandé à l’utilisateur de choisir le service de recommandation de contenus qui répond à ses préoccupations et à ses préférences.

Selon Maria Luisa Stasi (directrice “Law & Policy des marchés numériques” chez Article 19, une ONG qui défend la liberté d’expression) : « cette solution peut permettre d’atteindre plusieurs objectifs à la fois : accroître la concurrence, diversifier le marché, introduire des incitations à l’innovation et améliorer la qualité des services ».

Une approche prometteuse pour redonner aux utilisateurs plus de contrôle sur leur expérience en ligne et sur les influences exercées par les algorithmes.

Système de recommandation contributive

Contrairement aux algorithmes qui se basent sur l’analyse des comportements en ligne pour suggérer du contenu, la recommandation contributive s’appuie sur l’intelligence collective des utilisateurs.

Dans ce modèle, les recommandations de contenu sont générées par les utilisateurs qui partagent leurs suggestions avec la communauté en fonction de la pertinence qu’ils leur accordent.

Cette approche permet de favoriser la diversité des contenus recommandés.

Elle encourage également un engagement plus conscient et critique des utilisateurs, qui deviennent acteurs plutôt que consommateurs passifs de l’information. De plus, la recommandation contributive peut limiter les effets des chambres d’écho en exposant les utilisateurs à une variété de perspectives humaines plutôt qu’à des suggestions automatisées basées sur leurs préférences passées.

Ainsi, ce système offre une voie pour contrer la standardisation des goûts et des opinions induite par les algorithmes dominants, tout en renforçant le lien social et l’échange au sein des communautés en ligne.

Et on le voit, les utilisateurs sont à la recherche de ce type de recommandation. Selon cette étude relayée sur Abondance : Reddit devient de plus en plus populaire pour les recherches de produits chez les jeunes. Pourquoi ? Parce que les recommandations sont effectuées par de « vraies personnes« .

Je vous invite à découvrir l’initiative Tournesol.app. Une plateforme libre et open source qui propose d’identifier les vidéos d’utilité publique de manière collaborative, en s’appuyant sur le jugement de contributeurs.

Conclusion

Les stratégies de résistance, qu’elles soient individuelles ou collectives, offrent des pistes concrètes pour reprendre le contrôle sur notre environnement numérique. De la simple limitation de notre empreinte en ligne à la mobilisation pour des régulations plus strictes, les solutions pour préserver notre autonomie et notre vie privée sont nombreuses.

Mais, les défis restent importants. La complexité technique, les pressions économiques et sociales, ainsi que le manque de sensibilisation du grand public constituent des obstacles majeurs. De plus, l’évolution rapide des technologies oblige à une adaptation constante de nos stratégies.

Malgré ces difficultés, l’importance de cette résistance ne doit pas être sous-estimée.

L’avenir de notre société dépendra de notre capacité à naviguer entre les avantages indéniables offerts par les algorithmes et la nécessité de maintenir un contrôle humain sur ces technologies. Je dirais même la nécessité de garder le contrôle de l’humain qui est en nous.

En fin de compte, la résistance aux algorithmes n’est pas un rejet du progrès, mais plutôt une affirmation de notre humanité face à l’automatisation croissante de nos vies.

Pour aller plus loin

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