Comment le succès du Bitcoin pourrait-il enrichir les premiers adeptes aux dépens de la société, selon les économistes de la BCE ? Le 12 octobre 2024, la Banque Centrale Européenne (BCE) a publié un rapport préconisant une régulation stricte, voire une interdiction du Bitcoin. Elle justifie cette position en affirmant que les premiers investisseurs réalisent des profits sur ceux qui achètent plus cher. Ainsi les holders exploiteraient les nouveaux entrants. Une approche qui pose question et révèle de lourdes contradictions dans l’analyse économique de l’institution. Critique des contradictions de la BCE face à Bitcoin.
EN BREF
- La BCE critique la dynamique de Bitcoin mais tolère le même principe sur d’autres marchés financiers.
- Elle affirme que Bitcoin enrichit les premiers acheteurs au détriment des nouveaux venus, et créé ainsi des inégalités.
- Bitcoin est conçu pour contrer les politiques inflationnistes des banques centrales, ce que la BCE ignore dans son rapport.
- La BCE exagère l’usage criminel de Bitcoin et manque de justifier ses positions positions par des sources fiables.
- La BCE cherche à freiner l’innovation de Bitcoin pour protéger le système financier en place.
Bitcoin : effet d’aubaine ou mécanisme marchand classique ?
Dans un billet de blog en février 2024 – dont nous avions déjà pointé les contradictions – la BCE suggérait déjà de poursuivre les développeurs de Bitcoin. Elle les rendait responsables des transactions illicites sur le réseau. L’argumentaire reposait sur une critique de l’utilité de Bitcoin en tant que monnaie décentralisée et de son potentiel comme investissement. Pourtant, comme nous l’avions déjà indiqué, cela sort du cadre du mandat de la BCE qui devrait, avant tout, se concentrer sur la stabilité des prix dans la zone euro. Alors que l’inflation reste un défi majeur pour l’économie européenne, il est surprenant de voir une institution publique se focaliser sur un actif en particulier.
Le rapport d’octobre (disponible en pdf ici) enfonce le clou des contradictions et affirme que Bitcoin enrichit les premiers acheteurs au détriment des nouveaux entrants. Mais en réalité, cette dynamique n’est pas propre au Bitcoin ; elle est au cœur de tous les marchés financiers où acheter à bas prix pour revendre à un prix plus élevé est une pratique commune. Il est donc paradoxal que la BCE, qui supervise ces marchés, critique un mécanisme qu’elle tolère et même soutient dans d’autres contextes.
Les effets redistributifs : une vision biaisée
Dans son rapport, la BCE s’inquiète de la redistribution des richesses engendrée par la hausse continue du prix de Bitcoin.
Si le prix du Bitcoin augmente durablement, l’existence du Bitcoin appauvrit à la fois les non-détenteurs et les retardataires.
Selon elle, cette augmentation de valeur se fait au détriment des nouveaux arrivants, qui achètent à un prix plus élevé. Mais cette vision ignore un point essentiel : tous les marchés fonctionnent ainsi. La bourse, l’immobilier, et même le marché des obligations reposent sur cette logique. En ciblant spécifiquement Bitcoin, la BCE montre une volonté de maintenir un narratif négatif, orienté pour justifier une régulation stricte.
Bitcoin : une réponse à l’inflation monétaire
Depuis sa création, Bitcoin s’est positionné comme une alternative aux systèmes monétaires traditionnels, précisément pour répondre aux politiques inflationnistes des banques centrales. Lors de la publication de son livre blanc en 2008, Satoshi Nakamoto proposait une monnaie numérique limitée à 21 millions d’unités pour contrer l’impression massive de devises fiduciaires. En appelant à une interdiction ou à un contrôle strict du Bitcoin, la BCE semble oublier les raisons mêmes de son émergence.
Le succès de Bitcoin tient en grande partie à sa capacité à offrir une réserve de valeur alternative face à l’inflation. En effet, dans un contexte de taux d’inflation élevés en Europe et aux États-Unis, Bitcoin est devenu une solution pour préserver le pouvoir d’achat des investisseurs. D’ailleurs, il est étonnant de voir une institution comme la BCE critiquer un actif basé sur la rareté, alors même que ses propres politiques monétaires créent de l’inflation en augmentant l’offre de monnaie.
Des accusations non fondées
La BCE avance aussi que Bitcoin facilite les transactions criminelles, un classique pour justifier ainsi ses appels à régulation. Pourtant, comme nous l’avions relevé dans notre article de février, ces affirmations sont souvent exagérées et manquent de sources fiables. En effet, des rapports officiels, notamment celui du département du Trésor américain, montrent que les monnaies fiduciaires restent le principal outil pour les activités illégales. De plus, même des données de Chainalysis indiquent que l’activité illicite sur le réseau Bitcoin diminue, ce qui contredit directement le discours de la BCE.
Interdire Bitcoin : une attaque injustifiée
Le rapport d’octobre va jusqu’à suggérer que l’interdiction de Bitcoin pourrait être une solution pour éviter une “exploitation” des nouveaux acheteurs et empêcher des tensions sociales. Ici encore, on voit apparaître une dérive autoritaire. En février, la BCE évoquait déjà la possibilité de poursuivre les développeurs de Bitcoin. Une telle approche liberticide s’éloigne dangereusement du mandat de stabilité monétaire que l’institution devrait respecter.
Les incohérences du discours réglementaire
Les contradictions de la BCE sont d’autant plus frappantes lorsqu’on observe ses actions récentes. En février, elle critiquait l’inefficacité de Bitcoin comme monnaie de transaction, tout en évoquant son impact environnemental négatif. Dans son dernier rapport, elle semble admettre le potentiel de Bitcoin à créer des tensions sociales en raison de sa valeur croissante. Ces déclarations contradictoires montrent un manque de cohérence et d’objectivité dans son discours.
Lire aussi : La grande capitulation (Alexandre Stachtchenko).
Un débat nuancé s’impose
L’analyse de la BCE sur Bitcoin s’inscrit dans une tentative de maintenir le statu quo financier. Pourtant, cette position ignore les raisons profondes du succès de Bitcoin : une perte de confiance croissante dans les politiques monétaires traditionnelles et un besoin de transparence et de décentralisation. La BCE, en insistant sur une régulation stricte ou une interdiction, cherche à freiner un mouvement qui émerge précisément en réaction à ses propres échecs.
Le monde financier évolue rapidement, et Bitcoin, avec ses promesses et ses défis, fait partie intégrante de cette mutation. Le débat sur l’avenir du système monétaire mondial doit être équilibré, et prendre en compte les opportunités qu’offre la technologie blockchain tout en abordant ses risques de manière objective et fondée.
Ce que révèle ce rapport de la BCE sur la légitimité de Bitcoin
En fin de compte, la position de la BCE vis-à-vis de Bitcoin semble guidée par une volonté de protéger le système financier traditionnel au détriment de l’innovation. La FED elle aussi vient de publier un rapport dans lequel elle estime que Bitcoin devrait être banni ou taxé. Pourtant, le contrôle ou l’interdiction du Bitcoin n’effacera pas les inquiétudes liées à l’inflation et à la perte de pouvoir d’achat. Les régulateurs doivent se préparer à un avenir où les alternatives décentralisées joueront un rôle central, plutôt que d’essayer de les étouffer.
A travers cette publication, la BCE abandonne sa posture de certitude quant à l échec du Bitcoin. Désormais, elle envisage l’hypothèse d’un Bitcoin durable et perturbateur du système financier traditionnel.
En critiquant les effets redistributifs de Bitcoin, la BCE révèle en réalité une fracture sociale et générationnelle : les jeunes et les exclus financiers adoptent Bitcoin, tandis que les bénéficiaires du système actuel, principalement les personnes âgées et les institutions, s’y opposent. Cela montre que Bitcoin menace le statu quo que les banques centrales cherchent à protéger.
Finalement, ce rapport de la BCE confirme l’importance croissante de Bitcoin et valide sa légitimité comme alternative crédible au système actuel. La lutte contre Bitcoin est en réalité une tentative de protéger l’euro numérique, mais cette reconnaissance indirecte de sa résilience pourrait bien jouer en faveur de Bitcoin et renforcer son adoption.