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Quelle souveraineté numérique pour la France à l’ère de l’IA ?

La révolution de l’intelligence artificielle bouleverse les équilibres géopolitiques, économiques et culturels. Face à l’hégémonie des géants technologiques américains et aux ambitions grandissantes de la Chine, la souveraineté numérique de la France et de l’Europe est mise à rude épreuve. Le rapport parlementaire « ChatGPT, et après ? » (synthèse en pdf) publié le 4 décembre dernier, met en lumière les défis à relever pour construire une stratégie nationale et européenne à la hauteur des enjeux.

Une dépendance aux puissances étrangères

Le paysage de l’IA est dominé par les États-Unis et la Chine. Les géants américains – regroupés sous l’acronyme MAAAM (Microsoft, Apple, Alphabet, Amazon, Meta) – possèdent bel et bien une avance technologique et économique écrasante.

De leur côté, les ambitions chinoises s’appuient sur une maîtrise complète de la chaîne de valeur, de la production de semi-conducteurs à l’exploitation des données massives.

En comparaison, l’Europe, et plus particulièrement la France, apparaît en position de faiblesse, dépendante des technologies, des infrastructures et des modèles étrangers.

Dans son rapport, l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) souligne notamment l’importance des infrastructures de calcul, comme les supercalculateurs, dans le développement de l’IA. Des acteurs comme Nvidia ou les centres de calcul chinois atteignent des performances astronomiques. Google vient justement de présenter sa nouvelle puce quantique, baptisé « Willow« .

En face, la France peine à rivaliser. Malgré des investissements dans des machines comme le supercalculateur Jean Zay.

La souveraineté numérique : un enjeu stratégique et culturel

La souveraineté numérique ne se limite pas à une indépendance technologique. Elle touche également à des aspects culturels et linguistiques. L’IA, dominée par des acteurs anglo-saxons, renforce l’hégémonie culturelle américaine. En effet, les grands modèles de langage favorisent l’anglais et les cadres cognitifs propres aux sociétés nord-américaines. Cela au détriment de la diversité linguistique et culturelle.

Pour éviter de devenir une « colonie numérique », le rapport insiste sur la nécessité de créer des bases de données reflétant les spécificités culturelles françaises et francophones.

Pour l’Europe, et notamment la France, le défi est celui de la souveraineté numérique, afin d’éviter de devenir une pure et simple « colonie numérique ». L’Union européenne mise aujourd’hui sur la régulation de l’IA, mais cela reste insuffisant face à la taille et à l’avance des puissances américaine et chinoise. La souveraineté numérique contre la domination de la Big Tech américaine appelle au développement d’acteurs français et européens puissants.

Ces initiatives permettraient de préserver la richesse du patrimoine culturel. Elles permettraient aussi de développer des outils technologiques mieux adaptés aux besoins locaux.

Des pistes pour une stratégie française et européenne

Face à ces défis, le rapport propose 18 recommandations. Parmi elles, la construction d’une filière autonome couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur de l’IA, depuis la recherche fondamentale jusqu’à l’industrialisation.

Bien qu’il soit irréaliste de rivaliser directement avec les États-Unis ou la Chine, la France et l’Europe peuvent se positionner sur des créneaux stratégiques comme l’IA de confiance et éthique.

La mise en place d’une véritable gouvernance de la politique publique de l’IA est également indispensable. Aujourd’hui éclatée et sans réel pilote, cette stratégie nécessite une coordination interministérielle forte et une feuille de route claire.

Le rapport propose par ailleurs de s’inspirer de modèles étrangers, comme la NL AI Coalition des Pays-Bas, qui favorise les synergies entre acteurs publics et privés.

Enfin, le développement de l’IA doit s’accompagner d’une réforme des cadres juridiques, notamment en matière de propriété intellectuelle. Protéger les données, clarifier les droits d’auteur pour les œuvres générées par IA et garantir un accès équitable aux technologies figurent parmi les priorités identifiées.

Un défi européen

La souveraineté numérique française ne peut être envisagée qu’au sein d’une stratégie européenne concertée.

Le rapport appelle à un programme de coopération entre pays partageant des visions similaires, comme l’Allemagne, l’Italie ou les Pays-Bas.

L’AI Act de l’Union européenne, bien qu’imposant des régulations strictes, pourrait servir de socle pour développer une approche commune et renforcer la compétitivité du continent. Mais l’Europe doit faire attention à ne pas s’enfermer dans le piège de la régulation.

L’heure de passer à l’action

La souveraineté numérique est bien plus qu’un enjeu technique. Elle conditionne l’indépendance politique et la vitalité économique tout en jouant un rôle essentiel dans la préservation des identités culturelles.

La France a aujourd’hui l’opportunité de définir une stratégie ambitieuse et cohérente, en s’appuyant sur les recommandations du rapport de l’OPECST. Les auteurs saluent d’ailleurs la tenue, en février 2025, d’une nouvelle édition du sommet de l’action pour l’IA à Paris.

La France n’est pas complètement à la traîne, elle se classe désormais au 6e rang mondial selon le classement de Stanford sur l’IA en 2024. Elle gagne deux places par rapport à 2022. Elle est même considérée comme le 3e pays au monde en termes d’IA, juste après les États-Unis et de la Chine.

Mais est-ce suffisant ? Le temps presse. Face à l’accélération des avancées technologiques et à la concentration des pouvoirs numériques, l’inaction pourrait condamner la France à un rôle de spectateur dans cette révolution mondiale.